RU de KIM THUY
Un petit livre que je viens de terminer … Tout bien, qui se lit vite, qui parle du Vietnam à travers les yeux de l’écrivaine (une histoire vraie), de jolis mots pour retranscrire de belles émotions…
Un petit trésor ce livre … une belle découverte! Merci à Véro et Coco d’avoir partager cette jolie berceuse!
C’est qui Kim Thùy ?
Kim Thúy est née à Saigon en 1968, pendant l’offensive du Têt. À 10 ans, sa famille et elle fuyaient le Vietnam cachés dans la cale d’un bateau, entassés les uns sur les autres. Après avoir vécu quatre mois en Malaisie dans un camp de réfugiés, ils se sont installés à Granby, autant dire sur une autre planète.
Dans “Ru”, son premier roman, elle raconte, au fil de la mémoire qui avance par vagues, insouciante de l’ordre du temps, ses souvenirs pêle-mêle.
C’est quoi l’histoire ?
Une femme voyage à travers le désordre des souvenirs : l’enfance dans sa cage d’or à Saigon, l’arrivée du communisme dans le Sud-Vietnam apeuré, la fuite dans le ventre d’un bateau au large du golfe de Siam, l’internement dans un camp de réfugiés en Malaisie, les premiers frissons dans le froid du Québec. Récit entre la guerre et la paix, Ru dit le vide et le trop-plein, l’égarement et la beauté. De ce tumulte, des incidents tragi-comiques, des objets ordinaires émergent comme autant de repères d’un parcours. En évoquant un bracelet en acrylique rempli de diamants, des bols bleus cerclés d’argent ou la puissance d’une odeur d’assouplissant, Kim Thúy restitue le Vietnam d’hier et d’aujourd’hui avec la maîtrise d’un grand écrivain.
Ce que j’en pense ?
La romancière signe avec Ru son premier livre qu’elle “a porter” pendant 25 ans, et moi je dis qu’elle a bien fait!
Elle fait le va et vient entre le Vietnam et le Québec, entre les gens de là-bas et les gens d’ici. Elle a fouillé sa mémoire pour proposer un récit simple mais touchant d’émotion. J’ai aimé lire RU parce que les chapitres son courts et riches d’émotions et Kim Thúy te propose avec toute sa douceur et expérience un regard différent sur notre monde contemporain.
Ru c’est beaucoup de jolis mots sur le lien et l’attachement maternel. Ru m’a parfois touché jusqu’aux larmes tellement ses pensées sont justes… J’ai retrouvé dans RU les paysages de rizières, des chapeaux pointus… Cela m’a émue autant que lorsque j’étais à Bali…
RU c’est un beau message de l’instant présent et de l’amour de la vie!
Je te laisse découvrir ce roman bouleversant d’émotions tout est tellement bien décrit que je ne peux pas t’en dire plus pour garder le souffle poétique de ce merveilleux livre!
Extrait du Livre (début du Livre)
Je suis venue au monde pendant l’offensive du Têt, aux premiers jours de la nouvelle année du Singe, lorsque les longues chaînes de pétards accrochées devant les maisons explosaient en polyphonie avec le son des mitraillettes.
J’ai vu le jour à Saigon, là où les débris des pétards éclatés en mille miettes coloraient le sol de rouge comme des pétales de cerisier, ou comme le sang des deux millions de soldats déployés, éparpillés dans les villes et les villages d’un Vietnam déchiré en deux.
Je suis née à l’ombre de ces cieux ornés de feux d’artifice, décorés de guirlandes lumineuses, traversés de roquettes et de fusées. Ma naissance a eu pour mission de remplacer les vies perdues. Ma vie avait le devoir de continuer celle de ma mère.
Je m’appelle Nguyễn An Tịnh et ma mère, Nguyễn An Tĩnh. Mon nom est une simple variation du sien puisque seul un point sous le i me différencie d’elle, me distingue d’elle, me dissocie d’elle. J’étais une extension d’elle, jusque dans le sens de mon nom. En vietnamien, le sien veut dire «environnement paisible» et le mien, «intérieur paisible». Par ces noms presque inter changeables, ma mère confirmait que j’étais une suite d’elle, que je continuerais son histoire.
L’Histoire du Vietnam, celle avec un grand H, a déjoué les plans de ma mère. Elle a jeté les accents de nos noms à l’eau quand elle nous a fait traverser le golfe du Siam, il y a trente ans. Elle a aussi dépouillé nos noms de leur sens, les réduisant à des sons à la fois étrangers et étranges dans la langue française. Elle est surtout venue rompre mon rôle de prolongement naturel de ma mère quand j’ai eu dix ans.
Grâce à l’exil, mes enfants n’ont jamais été des prolongements de moi, de mon histoire. Ils s’appellent Pascal et Henri et ne me ressemblent pas. Ils ont les cheveux clairs, la peau blanche et les cils touffus. Je n’ai pas éprouvé le sentiment naturel de la maternité auquel je m’attendais quand ils étaient accrochés à mes seins à trois heures du matin, au milieu de la nuit. L’instinct maternel m’est venu beaucoup plus tard, au fil des nuits blanches, des couches souillées, des sourires gratuits, des joies soudaines.
C’est seulement à ce moment-là que j’ai saisi l’amour de cette mère assise en face de moi dans la cale de notre bateau, tenant dans ses bras un bébé dont la tête était couverte de croûtes de gale puantes. J’ai eu cette image sous les yeux pendant des jours et peut-être aussi des nuits. La petite ampoule suspendue au bout d’un fil retenu par un clou rouillé diffusait dans la cale une faible lumière, toujours la même. Au fond de ce bateau, le jour ne se distinguait plus de la nuit. La constance de cet éclairage nous protégeait de l’immensité de la mer et du ciel qui nous entouraient. Les gens assis sur le pont nous rapportaient qu’il n’y avait plus de ligne de démarcation entre le bleu du ciel et le bleu de la mer. On ne savait donc pas si on se dirigeait vers le ciel ou si on s’enfonçait dans les profondeurs de l’eau. Le paradis et l’enfer s’étaient enlacés dans le ventre de notre bateau. Le paradis promettait un tournant dans notre vie, un nouvel avenir, une nouvelle histoire. L’enfer, lui, étalait nos peurs : peur des pirates, peur de mourir de faim, peur de s’intoxiquer avec les biscottes imbibées d’huile à moteur, peur de manquer d’eau, peur de ne plus pouvoir se remettre debout, peur de devoir uriner dans ce pot rouge qui passait d’une main à l’autre, peur que cette tête d’enfant galeuse ne soit contagieuse, peur de ne plus jamais fouler la terre ferme, peur de ne plus revoir le visage de ses parents assis quelque part dans la pénombre au milieu de ces deux cents personnes.
Bonne Lecture!